Bonjour Sophie, et merci de nous avoir retrouvé·e·s sur la criée de Quiberon ! Pouvez-vous commencer par nous présenter le Comité Régional des Pêches pour lequel vous travaillez ?

Sophie Lecerf, chargée de mission Pêche et Aires marines protégées au Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins de Bretagne : Le Comité est une organisation professionnelle des pêches, à laquelle tous les pêcheurs bretons adhèrent obligatoirement. Sa mission première est la représentation et la promotion de l’intérêt général des marins pêcheurs. Le Comité définit également des règles d’exploitation des ressources halieutiques de la bande côtière grâce à l’élaboration et la gestion d’un système de licence des pêches.

Depuis 2010, on nous a confié la mission de participer aux politiques publiques environnementales de protection et mise en valeur de l’environnement marin : cette évolution reflète l’engagement des comités de pêche depuis de nombreuses années dans la gestion des pêches durables.

Le Comité participe aussi à des projets de recherche et d’innovation en portant ou en collaborant à des projets scientifiques. Depuis 2016, la loi impose d’évaluer systématiquement les risques des activités de pêche de porter atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000. Nous réalisons donc un diagnostic de la pêche professionnelle sur l’aire marine considérée et analysons les différentes pressions générées par les engins sur les habitats, en considérant leur sensibilité et leur capacité de résilience, pour déterminer s’il y a un risque environnemental ou non.

Que se passe-t-il lorsque ces analyses prouvent que le risque de porter atteinte à la préservation des habitats ou de la biodiversité marine est avéré ?

Notre rôle est alors de prendre en compte les activités de pêche et de les faire évoluer lorsque nécessaire, pour qu’elles soient compatibles avec la préservation de l’environnement.
Il arrive que l’on prenne des mesures réglementaires pour limiter certains risques : ces mesures peuvent être spatiales, techniques ou temporelles. Mais pour d’autres, nous nous sommes engagé·e·s, en réponse à la volonté des élus du Comité à poursuivre nos actions pour une pêche responsable, à sensibiliser les pêcheurs à l’environnement marin, à la biodiversité marine et aux pratiques de pêche durable. C’est ainsi qu’est né le projet RESPECT.

Pouvez-vous nous parler plus précisément de ce projet ?

Le projet RESPECT est porté depuis trois ans par le Comité Régional des Pêches, avec les quatre comités départementaux bretons. Il vise à sensibiliser les pêcheurs bretons aux enjeux de préservation de la biodiversité marine, afin de leur permettre de concilier activités de pêche et préservation du milieu marin. Un comité de suivi a été mis en place pour associer les partenaires impliqués sur ces thématiques (OFB, État, opérateurs Natura 2000, comité national des pêches…).

Nous avons commencé par créer un outil essentiel, pour lequel nous ressentions un besoin depuis longtemps. Avec la multiplication des réglementations environnementales, les pêcheurs ont besoin de repérer sur leur table de navigation les zones fermées à la pêche, les périmètres d’habitats protégés, les zones réglementées. Nous avons donc cartographié toutes ces données dans une clé USB compatible avec les logiciels de navigation des ordinateurs de bord. Les pêcheurs ont désormais à bord cet outil qui leur permet de superposer toutes ces informations géographiques sur leurs traînes et leurs plans de pêche, en temps réel.

Ces cartes sont enrichies continuellement avec les données dont nous disposons. Mais il y a encore des zones pour lesquelles nous manquons d’informations, sur l’évaluation de la qualité écologique des milieux par exemple. En effet, les expert·e·s de ces milieux marins sont rares, et les moyens déployés pour les étudier sont très coûteux, ce qui ne permet pas forcément aux gestionnaires d’espaces naturels protégés de contribuer aux suivis.

En plus de cet outil clé en main créé et distribué aux pêcheurs, vous avez évoqué une démarche de sensibilisation à la gestion durable des ressources halieutiques. Quelle forme prend cette campagne de sensibilisation ?

Pour une meilleure transmission des informations, nous avons en effet choisi de créer et diffuser de multiples supports de communication.

Nous avons créé un livret de sensibilisation sur la biodiversité marine, que les pêcheurs peuvent emporter en mer. On y a sélectionné les principaux habitats et espèces importantes pour les pêcheurs bretons. Chacune des pages décrit l’habitat, ses fonctionnalités, son intérêt halieutique, et une pratique de pêche durable décrite par un pêcheur lui-même.

Nous avons aussi conçu des expositions itinérantes, qui sont comme des déclinaisons du livret. Nous avons notamment choisi de mettre en avant les herbiers de zostère et les bancs maërl, qui sont deux habitats particulièrement riches et sensibles, jouant un rôle essentiel dans le cycle de vie de nombreuses espèces halieutiques. Chaque département en possède un exemplaire, et le mobilise régulièrement lors des différentes réunions réunissant les pêcheurs, pour les sensibiliser à leur importance et aux différentes pratiques de pêche durable qui permettraient de les préserver.

Par exemple, l’exposition sur le Puffin des Baléares est aujourd’hui affichée sur la criée de Quiberon. Le Puffin des Baléares est un oiseau qui niche et se reproduit aux Baléares, puis remonte le long de la côte Atlantique jusqu’en Manche. Il est présent de mai à octobre en Bretagne. Il y a un enjeu spécifique autour de cette espèce, qui risque de s’éteindre d’ici 60 ans si rien n’est fait. Les risques de capture accidentelle du Puffin par les engins de pêche ont été documentés : lorsque l’oiseau plonge dans la mer pour se nourrir de petits pélagiques, il peut se faire capturer par les hameçons. Cette exposition permet donc aux pêcheurs de prendre conscience de l’enjeu de préservation de cette espèce et de se préparer au projet national qui va démarrer prochainement et pour lequel ils seront sollicités pour des campagnes d’observation en mer. L’exposition met aussi en valeur les pratiques de pêche qui réduisent les risques de capture accidentelle du Puffin comme la pêche de nuit, surtout pour les palagres pélagiques.

Exposition sur le Puffin des Baléares, criée de Quiberon © In:Expeditions

Enfin, nous avons réalisé des témoignages vidéo de pêcheurs, pour mettre en valeur leurs pratiques de pêche durable. Ces vidéos abordent des sujets comme la pêche au casier et au filet dans les herbiers, la réduction de la pollution plastique ou encore le recyclage des engins de pêche usagés. 

Quelle est la portée de votre démarche aujourd’hui ? Et comment est-elle accueillie par les pêcheurs concernés ?

En 2019, la Bretagne comptait 4900 marins pour plus de 1150 navires actifs, et 460 pêcheurs à pied et récoltants d’algues de rive. Ces chiffres comprennent la petite pêche, la pêche côtière, la pêche au large et la grande pêche ; mais le projet RESPECT s’adresse surtout aux pêcheurs travaillant dans les eaux territoriales bretonnes, donc la petite pêche et la pêche côtière (soit 2650 marins).

Transmission du livret de sensibilisation sur la biodiversité marine à un pêcheur © In:Expeditions

Nous sommes en ce moment dans la phase de diffusion des outils. Les sept films ont plus de 2000 vues cumulées. Les livrets et les clés USB ont été remis à 1000 pêcheurs embarqués, 270 pêcheurs à pied et récoltants d’algues de rive, et 350 lycéen·e·s ou adultes en formation pêche. Pour ces outils, nous avons opté pour une approche terrain : nous nous rendons sur les ports pour aller à la rencontre des pêcheurs et leur distribuer ces outils en mains propres. Ils apprécient la démarche informative de sensibilisation et montrent un intérêt pour le livret et la clé USB, qui répond à un réel besoin.